Le système éducatif guinéen est actuellement considéré comme un système vide de sens. Pour cause, depuis l’indépendance à nos jours, l’appareil éducatif reste le même selon certains observateurs. Rencontré à Conakry, une instructrice qui a évolué dans l’éducation guinéenne depuis 30 ans, nous parle des vrais problèmes et apporte quelques solutions au système. Il s’agit de Madame Manoue Diallo.
Entretien :
Loupeguinee.com : Quel regard portez-vous sur l’éducation guinéenne en général ?
Manoue Diallo : L’éducation guinéenne est un fiasco. Quand Sékou Touré est mort on a fait venir une bande de personnes de l’occident qui a jeté le bébé avec l’eau du bain. Il y avait des idées intéressantes dans ce que Sékou Touré avait mis en place au niveau éducatif. Au moment du changement du régime, on a tout mis par terre sans regarder ce qui est intéressant et ce qui ne l’était pas. Résultat, on se retrouve 30 ans plus loin avec un pays qui a un système éducatif complètement perverti. Les enseignants qui sont passés de la langue nationale au français n’ont pas eu une formation suffisante pour vraiment enseigner le français. On passe d’un système éducatif à un autre sans formation, ça donne un affaiblissement. Mais pire que ça, tout l’appareillage qui était sensé soutenir les éducateurs, au lieu de se mettre à l’œuvre, il s’est lancé à la recherche du bien être immédiat. On a eu des ONG internationales qui ont financé fortement des programmes malheureusement, résultat, ça a introduit une notion de corruption. Tout le monde veut être dans le système éducatif mais pas pour former les enfants, mais savoir qu’est ce qu’il va gagner. Or un éducateur n’est pas quelqu’un qui pense d’abord à l’argent. On se retrouve avec des enseignants qui corrompent les élèves en classe. Va me chercher du bois, ramène moi du coca ça n’a rien à faire.
On a des surveillants qui, au moment des examens, moyennant quelques cadeaux aident les élèves. Des contrôleurs qui, moyennant quelques cadeaux permettent à certains enseignants d’exercer alors qu’ils ne sont pas en situation de classe. Cela ne les empêche pas d’avoir leur salaire pour autant. On a plein de faux problèmes partout à tous les niveaux. De l’enseignement jusqu’au plus haut, on se retrouve avec des gens qui, moyennant des arrangements pervertissent la situation. On se retrouve avec des services nationaux qui ne contrôlent pas correctement le déroulement des examens. C’est un fiasco au niveau de la formation. Les enseignants ne sont pas assez formés, pas assez soutenus, pas de façon constante. C’est un fiasco au niveau des évaluations.
En Guinée, tout le monde est permis de créer une école, une université et n’importe qui peut être recruté pour enseigner, comment vous le percevez en tant qu’institutrice ?
Il y a normalement un service qui est chargé de contrôler les écoles privées. Pourquoi ce service là n’exige pas des gens de qualité ? Quand on est responsable de service de l’enseignement privé, on ne peut pas donner un agrément pour une école qui met 60 enfants en classe surtout au CEP. Il faut que les gens s’organisent. Les enseignants ne sont pas formés. Comment fait-on pour contrôler le niveau des enseignants ? Dans les écoles publiques, on connaît comment se font les recrutements, c’est par copinage. Et c’est la même chose dans les écoles privées et pour quel salaire ? Quand on met 6O élèves dans une même classe, normalement on doit bien payer les enseignants au-delà du SMIG. Mais le revenu n’est pas correct, l’enseignant n’est pas formé, les locaux sont inadaptés, le matériel est inexistant, et on veut un résultat ? On ne peut pas avoir un résultat positif, mais on cumule les handicaps. Comment voulez vous que les enfants parlent bien le français pendant que les enseignants sont mal formés ? Comment voulez-vous que les enfants apprennent quand les manuels sont payés alors qu’ils devraient être partagés ? Il y a des écoles privées qui veulent faire le mieux, mais elles sont peu nombreuses. Les fondateurs préfèrent payer un climatiseur pour plaire aux parents d’élèves que de payer les informations.
On vient de proclamer les résultats de la 6ème année mais c’est vraiment catastrophique, certains pointent du doigt l’Etat, d’autres les parents, vous, qui accusez-vous ?
J’accuse tout le monde et je n’accuse personne .C’est un consensus. Les parents sont d’accord pour payer pour que les enfants passent en classe supérieure, ce n’est pas surprenant qu’ils échouent. Les parents doivent s’assurer de la qualité de l’école où ils envoient leurs enfants. Ecoutez le français que parle l’enseignant, comment parle-t-il ? Vous-voulez que ce monsieur forme vos enfants pour une compétence qu’il n’a pas lui-même ? On peut accuser le système, les examens que le système a organisés s’il y a réussite, on a des réussites sur une petite capacité. Les examens ne sont pas difficiles, on demande à l’enfant de réciter comme on récite le coran, c’est la même technique il n y a pas de pédagogie. Donc tout le monde est coupable, les parents qui acceptent d’emmener leurs enfants dans des écoles médiocres et qui paient pour que l’enfant passe en classe supérieure, l’enseignant qui accepte de travailler sans demander une formation, le système moyennant quelque chose ferme les yeux sur l’incapacité de la structure et de l’enseignant. Et Finalement le plus haut, le ministre qui ne corrige pas le tire pour qu’à la base on ait un bon travail. Il faut remettre les enseignants en formation et s’assurer que la qualité de travail est correcte comme dans les privées, comme dans les publiques. On doit arrêter d’avoir plus 60 élèves dans une classe .Le système étant déliquescent, tout le monde accepte la situation telle qu’elle est, or, il est inacceptable. Ni les inspecteurs, ni les enseignants, ni les parents ne doivent cautionner un tel système. Il ne peut que nous mener vers la faillite. L’inspecteur n’a pas à se plaindre de ce qui se passe parce qu’il sait, il est dans la corruption .On sait il y a des enseignants qui sont censés être en classe mais ils sont ailleurs.
Si Manoue Diallo est ministre aujourd’hui, quelle sera sa force pour lutter contre ce système ?
Pour changer la donne, il faut rassembler une équipe d’hommes sincères, compétents et honnêtes. Actuellement le système est verrouillé par des hommes qui ne croient pas à l’éducation. Ils sont là pour de l’argent, pas pour éduquer le peuple. Donc, il faut mettre en place un programme pour les enseignants, informer les parents et faire un vrai mitraillage pour tout le monde.
Interview réalisée par Saidou Diallo
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