Aboubacar CAMARA, communément appelé MANDELA, est un jeune leader bien connu dans l’espace ouest-africain.
Sociologue de formation (Maîtrise avec la Mention Excellent), Aboubacar CAMARA a une dizaine d’années d’expériences dans l’enseignement secondaire (lycée) et supérieur ainsi qu’une solide expérience en matière d’enquête en qualité d’enquêteur ou de consultant notamment pour le compte de Rio Tinto, Bell zone, la Voix Du Peuple (VDP),…
Il est aussi formateur international certifié par la Jeune Chambre Internationale et IFC/Banque Mondiale. Activiste, promoteur et défenseur du droit à l’éducation depuis plusieurs années, il est également certifié par FUN (France Université Numérique) en « Education par la recherche » (cours proposé par la Sorbonne) et, a suivi près de 60 modules de formation en Leadership, Communication en public, Montage et Gestion de projets,…
De nos jours, il est l’un des meilleurs consultants et conférenciers en éducation en Guinée; auteur de :
près de 80 analyses sur l’éducation et la vie socio-politique tant bien en Guinée qu’ailleurs en Afrique,
de trois livres à savoir :
L’éducation en Guinée : le Regard d’un Citoyen Engagé
République de Guinée : la paix est possible
Le Système Educatif Guinéen de 2009 à nos jours : Diagnostic et Solutions
Une thèse de mémoire en sociologie de l’éducation intitulée ‘’Mobilité Professionnelle des déscolarisés de Guinée : cas des commerçants de Conakry
Co-auteur (contributeur) de l’ouvrage collectif ‘’Conakry, Terre africaine du livre’’, l’Harmattan Guinée, 2019
Auteur du rapport ‘’Analyse des Règlements Généraux des Examens Scolaires : Remarques et Suggestions’’ (non publié)
Auteur de l’analyse ‘’Ma Vision Pour l’Ecole Guinéenne : Bâtir une école qui reflète nos réalités et nos aspirations’’
Fort de plus de 10 ans d’expériences dans la vie associative, Aboubacar Mandela CAMARA est président de l’Observatoire Citoyen du Système Educatif Guinéen (OCSEG), Fondateur et Coordinateur de l’ONG ‘’Save My School’’, membre influent de la Jeune Chambre Internationale de Guinée (Président de la JCI Conakry Lumière), Gérant du Cabinet International de Formation, d’Etudes et de Conseil (CIFEC) et Associé du cabinet Excelle.
Doté d’une capacité d’analyse et de raisonnement extraordinaire, le jeune MANDELA est fréquemment sollicité par une vingtaine de médias guinéens et étrangers (radios, télévisions, presse écrite et presse en ligne).
Il est l’un des co-fondateurs du centre informel d’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul de base pour les tout-petits et d’appui pédagogique aux élèves à Dar-Es-Salam (Ratoma). Un centre qui compte actuellement près de 70 apprenants.
MANDELA représente de nos jours un grand espoir pour la qualification de l’éducation en Guinée.
Il dédie cette analyse à toutes les filles victimes de mariages précoces, de mariages forcés, de grossesses non désirés et d’abandon scolaire à cause des pesanteurs sociaux.
FAUT-IL INTRODUIRE L’EDUCATION SEXUELLE A L’ECOLE ?
Depuis un bon moment, la question de ‘’l’éducation sexuelle’’ fait couler beaucoup d’encre et de salives tant bien en Guinée qu’ailleurs en Afrique.
Des organisations internationales, ONG internationales et nationales en font des projets et prennent d’assaut médias, écoles et autres espaces publics pour des raisons dont nous ignorons parfois. On va jusqu’à demander aux ministères en charge des systèmes éducatifs d’en faire un programme entier d’enseignement en contrepartie, principalement, d’appuis financiers.
La question heurte des sensibilités et des oppositions se font sentir ici et là.
Pour répondre à notre question de départ, nous passerons en revue :
les notions d’éducation sexuelle
le point de vue musulman
le point de vue catholique
le point de vue protestant
l’éducation sexuelle parentale
l’éducation sexuelle scolaire
conduite des éducateurs de la sexualité
les recommandations du séminaire de Bamako
et, nous tenterons de donner notre propre point de vue.
Tout d’abord, rappelons cette tentative de définition fournie par, Gaston GAUTHIER, Coordinateur des Sciences Familiales, Commission des écoles catholiques de Montréal, Québec, Canada ; P.102:
…L’éducation sexuelle nous apparait comme tout ce qui contribue à l’épanouissement de la personnalité en tant que celle-ci est sexuée. C’est dire qu’elle n’est pas seulement une éducation de la génitalité, mais aussi des autres dimensions sexuées de la personne. Ses buts à long terme sont d’aider l’enfant à devenir un adulte plus capable de relations hétérosexuelles adéquates et plus apte à devenir un bon époux ou une bonne épouse. Et de façon plus rapprochée elle doit viser à éclairer et développer l’enfant dans la conquête de son identité sexuelle, dans la recherche d’une meilleure perception de ses rôles sexuels ; lui fournir les informations qu’il recherche, l’aider dans le développement de ses attitudes…
Plus loin, GAUTHIER indique à la page 98 que cinq facteurs concourent à rendre la question de l’éducation sexuelle un sujet d’actualité sans précédent. Ce sont : la technologie, la surpopulation, les échanges inter-culturels, les idéologies considérant la femme comme égale à l’homme et les progrès des sciences humaines.
Au séminaire de Bamako (1973), les religieux ont aussi pris la parole pour donner les versions ou points de vue de leurs confessions respectueuses.
Nous avons, premièrement, le point de vue musulman présenté par Elbekaye KOUNTA qui indiqua :
Les problèmes sexuels traités-bien que de façon peu approfondie-par le Coran sont à peu près les suivants :
La procréation, (de quoi l’homme est créé et comment). L’Eternel dit : « C’est lui qui vous a créés de poussière, puis d’une goutte de sperme, puis d’un grumeau de sang coagulé, il vous fait naître enfants. »
La virginité : L’Eternel dit à propos de la Sainte Marie ; « Et Marie fille d’Inran, qui conserva sa virginité, nous lui insufflâmes une partie de notre esprit. Elle crut aux paroles du Seigneur, à ses livres ; et elle était du nombre de personnes pieuses. »
Le Coran fait mention également des rapports sexuels, éjaculation et sperme ; de l’ablution et du bain après les rapports sexuels ; de la puberté et du mariage ; de l’interdiction de relations sexuelles en périodes de menstrues ou après l’accouchement et avant l’arrêt du sang ; de la stérilité, durée de la grossesse, allaitement et sevrage ; de la polygamie, de l’adultère, l’homosexualité, et du divorce. Dans tout ce que je viens d’énumérer, le Coran se borne le plus souvent à des informations générales, disons même élémentaires. Cependant nous pouvons en déduire l’idée suivante : la démystification de la sexualité, c’est-à-dire que le sexe ne doit plus être considéré comme tabou, comme quelque chose dont on a honte de parler étant donné que le Coran, malgré son caractère sacré, en fait mention.
Le deuxième point de vue de religieux est celui catholique ; notamment du Révérend Père Joseph Roger de Benoit, Aumônier des jeunes, Bobo-Dioulasso, Haute Volta (actuel Burkina Faso). Il fait également allusion à quelques textes officiels de la Bible et, nous parle du véritable sens de l’éducation sexuelle ; P.77 :
Sans vous accabler de déclarations officielles, il n’est pas inutile de montrer que cette position optimiste et cette nécessité de l’éducation sexuelle sont reconnues par les hautes autorités de l’Eglise, de façon de plus en plus nette.
Dans sa lettre encyclique sur le mariage, Pie XI affirme que la grandeur du mariage ne vient pas seulement du caractère religieux que lui donne la bénédiction de l’Eglise : « il y a quelque chose de sacré et de religieux même dans le mariage. » Le Pape Pie XII affirme la légitimité du plaisir sexuel : « La volupté qui vient légitimement du mariage n’est pas condamnable en soi ». (Sacra Virginitas).
Plus explicitement encore, tous les Evêques réunis en Concile Général à Rome entre 1963 et 1965, ont demandé, dans leur document sur l’éducation chrétienne, que « les jeunes bénéficient d’une éducation sexuelle à la fois positive et prudente au fur et à mesure qu’ils grandissent ». Enfin, commentant l’encyclique de Paul VI sur le mariage, les Evêques français déclaraient en 1968 : « L’éducation des jeunes à l’amour est d’une importance capitale. Elle commence de bonne heure, elle est l’affaire de tous : parents, prêtres, éducateurs, médecins, mouvements de jeunesse, etc. »
Puis, le Révérend Père ajouta ces quelques précisions importantes :
Comme le montre l’expression « éducation des jeunes à l’amour », il ne s’agit pas de faire une simple information sur l’anatomie et la physiologie des organes génitaux et de la reproduction, qui serait donnée à un moment bien déterminé, prévu par un programme scolaire. C’est toute une éducation qui doit commencer très tôt et accompagner toute la croissance de l’enfant et du jeune.
Il s’agit, selon Pie XII, de « former une génération depuis ses premières années (pour la réussite du mariage) ». Et la commission Episcopale française de la famille, dans une Note intitulée « Qu’est-ce qu’aimer ? » (24 Septembre 1970) a précisé : « les adolescents ont le droit d’être informés des réalités de la vie notamment de recevoir une franche information sexuelle. Il est important que cette information précède leur évolution physique et psychologique, afin qu’ils puissent assumer ce qu’ils éprouveront, en connaitre la signification pour en maitriser les manifestations. C’est la meilleure façon de dédramatiser la puberté. »
L’éducation sexuelle n’est donc qu’une partie de l’éducation en général et ne doit pas en être séparée. Le Pape Paul VI déclarait récemment : « sans barrage ni refoulement, il s’agit de favoriser une éducation qui aide l’enfant et l’adolescent à prendre progressivement conscience de la force des pulsions qui s’éveillent en eux, à les intégrer à la construction de leur personnalité, à en maitriser les forces montantes pour réaliser une pleine maturité affective aussi bien que sexuelle, à se préparer par là au don de soi dans un amour qui lui donnera sa véritable dimension, de manière définitive et exclusive. »
Le troisième point de vue de religieux concerne ici celui protestant que nous présente Jean BANYOLAK, Conseiller familial Douala-Deido, Cameroun ; à l’époque (année 1973), il était de l’éducation sexuelle au Cameroun par la Fédération des Eglises Protestantes ; PP 83-85.
Prenant la parole, il indiqua que « la sexualité n’est qu’un aspect de l’amour, mais de nombreux jeunes confondent ces deux termes et pensent que la sexualité et l’amour signifie la même chose… ». Il ajouta que « l’amour, le mariage et la sexualité sont trois forces qui tendent l’une vers l’autre. » D’où l’appellation : triangle de « l’unité humaine » (le corps, l’âme et l’esprit).
Dans une posture beaucoup plus d’éducateur, Jean BANYOLAK fît d’importantes propositions (voit tableau ci-dessous) concernant le programme d’éducation sexuelle selon l’âge des enfants :
PERIODES DE LA VIE
CONTENUS DE L’EDUCATION SEXUELLE
Jusqu’à 6 ans (l’enfance)
-donner aux enfants un bon exemple de vie conjugale ;
-faire preuve d’une vie pleine de générosité, d’amour et de bonheur ;
-bien répondre aux questions des enfants concernant la sexualité ;
-expliquer aux enfants de cet âge la formation de la vie d’une famille
Entre 7 et 12 ans
(période latente)
-parler aux adolescents des modes de reproduction des êtres (cellule male + cellule femelle=fruit) ;
-souligner la différence entre l’homme-image de Dieu-et les autres créatures en termes de reproduction (intelligence et responsabilité) ;
-préparer les adolescents et adolescentes aux transformations sexuelles (barbe, mue de la voix, éveil du désir sexuel et sa maitrise, pollutions nocturnes pour les garçons ; développements des seins, des règles périodiques, des pulsions et changements de caractère pour les filles) ;
Entre 13 et 21 ans (la puberté)
-montrer aux jeunes les dangers de mauvaises compagnies, de mauvais spectacles et d’une mauvaise littérature ;
-expliquer leur une bonne utilisation du désir sexuel (investissement du désir dans la formation professionnelle, les engagements au service d’autrui, abstinence, dialogue,…) ;
– expliquer leur une mauvaise utilisation du désir sexuel (masturbation trop fréquente, prostitution, homosexualité, concubinage, viol, inceste,…) ;
-discuter avec les jeunes des questions de virginité, camaraderie, l’amitié vraie, l’évolution de l’amour, les maladies vénériennes, le célibat, le mariage,…
Plus de 22 ans (adultes)
Organiser des sessions de sensibilisation sur la sexualité : régularisation des naissances, l’avortement, la frigidité, la stérilité, l’hérédité, l’adoption, la filiation, la stérilisation, le cycle féminin, l’hygiène sexuelle, le plaisir sexuel,…
Après donc ces différentes propositions, Jean BANYOLAK, toujours dans sa posture d’éducateur et en bon protestant, parla des principaux buts qu’un éducateur devrait viser à travers l’éducation sexuelle. Selon lui, ces buts sont :
L’éducation sexuelle doit offrir une aide efficace contre l’excès d’accentuation de la sexualité dans le public
Elle doit aussi donner à l’enfant grandissant une connaissance plus complète correspondant à son âge
L’éducation sexuelle sera l’action des parents et des éducateurs en vue d’une maturation progressive des jeunes sur le plan affectif
Faire comprendre le vrai sens de la sexualité humaine aux jeunes qui apprendront à mieux respecter le sexe opposé […] Chez les animaux, l’instinct pousse le male vers la femelle et la sexualité est une fonction biologique en soi ; tandis que chez les êtres humains, l’acte sexuel engage non seulement le corps, mais aussi l’âme et l’esprit de son partenaire
Un but extrêmement important à viser par l’éducation sexuelle, c’est la prise de conscience des jeunes et des adultes afin que chacun soit responsable de ses actions envers soi-même, envers son partenaire et envers leur postérité.
Il termina son intervention par la conception véritable du « protestant éclairé » :
La plupart des protestants éclairés croient que le désir sexuel n’est pas mauvais, mais c’est la satisfaction instinctive, égoïste ou abusive de ce désir qui est mauvaise. Le charme et l’attrait du sexe opposé ont été créés par Dieu et très normaux. La sexualité est un don excellent de Dieu et la jouissance sexuelle est un ciment du couple. L’acte sexuel unit l’homme et la femme comme un pont sur un fleuve unit une rive à l’autre. L’union sexuelle dans le mariage est semblable à un pont métallique très durable. En dehors du mariage, ce pont en troncs d’arbres faibles s’arrête au milieu du fleuve sans mener nulle part. Il est permis, prudent et sûr de traverser paisiblement un fleuve sur un pont métallique.
Il est écrit dans Genèse 2:24 : « c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, (pour le mariage) et s’attachera à sa femme, (par l’amour) et ils deviendront une seule chair (dans la sexualité). » L’amour, le mariage et la sexualité veulent et doivent être inséparables dans une véritable éducation sexuelle.
Après donc ces points de vue des religieux (musulman, catholique et protestant), jetons un coup d’œil sur l’éducation sexuelle parentale et scolaire. Nous reprenons ici les conceptions de Gaston GAUTHIER, respectivement à la page 99 et 102.
Concernant l’éducation sexuelle parentale, il souligne :
Le rôle ou la part des parents dans l’éducation sexuelle est souvent proclamé et même souvent revendiqué comme un rôle exclusif. Attardons-nous donc un peu à cette fonction parentale.
Depuis que Freud a fait redécouvrir l’importance des toutes premières années de la vie de l’enfant sur la formation de sa personnalité et depuis qu’il a révélé l’existence d’une sexualité infantile tout aussi précoce, l’importance du rôle des parents dans la formation de la personnalité et de la sexualité de l’enfant est devenue évidente pour tous ceux qui étudient ces questions. Mais il convient quand même de l’affirmer encore. Car dans l’éducation sexuelle des enfants, les parents ont un rôle décisif, unique et irremplaçable. Ce rôle est décisif parce que son influence se fait sentir dès les toutes premières années de la vie de l’enfant et la marque ainsi profondément pour l’avenir. Une fois ainsi clairement reconnu l’apport des parents, il faut quand même le voir de façon plus concrète. Dans la pratique et dans la vie il est bien clair que certains parents faussent l’éducation sexuelle de leur enfant. Par exemple il y a des parents qui transmettent parfois sans trop le savoir le dégoût de la sexualité. Aussi ne faut-il pas voir ce rôle des parents de façon trop idéalisée.
Souvent les parents situent l’éducation sexuelle au niveau de la communication verbale avec leur enfant et ils demandent : Comment devons-nous répondre à telle ou telle question de l’enfant concernant le sexe ? Beaucoup de parents avouent avoir de la difficulté à répondre à de telles questions et encore plus nombreux sont ceux qui pratiquent la politique du silence. Ce silence est trop répandu pour qu’on ne s’y arrête pas.
Il semble en effet qu’une des caractéristiques importantes de l’apprentissage verbal de la sexualité par l’enfant soit la non-appellation (en anglais : non-labeling) ou, si l’on veut, l’absence de mots ou un non-langage.
Alors que, pour désigner les autres réalités qui l’entourent, l’enfant est progressivement muni de termes toujours différenciés, (exemple du feu : l’enfant apprend que c’est chaud, que ça brule, que le poêle est tantôt chaud et tantôt pas chaud), pour la sexualité, la plupart des enfants sont laissés dans la non-désignation, la non-appellation ou à des appellations toutes primaires et souvent négatives.
Parlant justement de ce silence coupable de certains parents, GAUTHIER situe les conséquences à quatre niveaux :
La première conséquence est l’incapacité infantile de concevoir ses parents comme des êtres sexués
La deuxième est que le silence est comblé par les mots et les termes (et les attitudes) émanant d’autres apprentissages et désignant d’autres réalités
La troisième conséquence : incapable de nommer ou d’exprimer son corps en tant que sexué, l’enfant va tenter de l’exprimer en phantasme
La quatrième est que le silence contribue au mystère et pour l’enfant le sexe devient d’autant plus intéressant.
Concernant l’éducation sexuelle faite par l’école, GAUTHIER pose des questions pertinentes qu’il tente de répondre lui-même :
La première est : l’école influe-t-elle sur le développement psycho-sexuel de l’enfant ?
Il nous semble bien que l’école, par sa philosophie, ses structures et même ses modes d’organisation, influence le développement.
Alignons certains exemples faisant ressortir cette influence scolaire : l’école décide de la mixité ou de la non-mixité des classes, et confie certaines classes à des professeurs féminins ou masculins. L’école en créant des classes crée des groupes d’enfants, or on sait l’importance des groupes de paires dans l’éducation sexuelle. Par ses critères de sélection des professeurs elle choisit pour ses enfants des modèles d’identification ; elle influence quand elle garde le silence, parce que son silence dit à l’enfant que le sexe est innommable.
Quelles raisons l’école peut-elle avoir de vouloir s’engager dans l’éducation sexuelle ?
Une réponse souvent entendue est, « parce que les parents ne le font pas, l’école doit agir ». Cet argument appelle l’école à un rôle de suppléance. En fait pour beaucoup d’enfants, cette suppléance pourra s’avérer utile. Il reste toutefois qu’un tel argument suggère davantage une action orientée vers les parents eux-mêmes pour qu’ils prennent leur responsabilité.
Une autre raison postulant l’intervention de l’école, c’est que celle-ci doit promouvoir l’épanouissement de toute la personnalité de l’enfant et que la sexualité est une composante importante de cette personnalité. Naturellement ce point de vue postule que l’école détient un rôle plus large que simplement informatif ou un simple rôle d’instruire l’enfant.
Enfin une troisième raison pour laquelle l’école devrait intervenir, c’est que l’école en tant qu’institution sociale et communautaire et en tant que milieu de vie doit contribuer à l’établissement d’un certain langage sexuel commun à une société et à la recherche d’attitudes communes face à la sexualité.
Enfin, notons que certains souhaitent que l’école intervienne en ce domaine pour alléger certains maux sociaux, p. ex. combattre les maladies vénériennes ou réduire le nombre le nombre de filles mères.
Selon quelles modalités l’école va-t-elle s’engager dans l’éducation sexuelle ?
Disons que l’école pourrait intervenir seulement à l’occasion ou à partir d’un programme qu’elle se serait donné. Pour notre part nous croyons qu’il y avait avantage à nous munir d’un programme.
Une des préoccupations majeures qu’il faille résoudre concerne la conduite des éducateurs de la sexualité face à la diversité des valeurs. C’est pourquoi, à la page 106, GAUTHIER s’interroge : Quelle doit être la conduite de l’éducateur de la sexualité quand il se trouve devant des oppositions de valeurs ?
A ce titre, il recommande les lignes de conduite ci-après :
L’éducateur respecte les personnes possédant des valeurs opposées aux siennes et leur permet de s’exprimer ;
L’éducateur s’applique à ce que les membres de son groupe se respectent les uns les autres ;
S’il parle des valeurs qu’il ne partage pas lui-même, il en parle honnêtement et objectivement ;
S’il doit parler de ses propres valeurs, il évite de se transformer en propagandiste, il se limite à les présenter sobrement en disant comment il les perçoit et pourquoi ; il accueille favorablement les opinions contraires aux siennes ;
Il est utile qu’il se rappelle l’adage suivant : « Les valeurs ne s’enseignent pas, mais elles s’apprennent ».
A présent, intéressons-nous aux différentes recommandations adoptées lors du tout premier séminaire interafricain tenu à Bamako que je vous livre ici, in extentio, la teneur ; P. 114 :
Le premier séminaire interafricain sur l’Education Sexuelle, tenu à Bamako du 16 au 25 Avril 1973 à l’initiative du Service Quaker et sous le haut patronage du Ministère de l’Education Nationale du Mali,
Considérant,
Les faits :
la transformation de la vie familiale (relâchement des mœurs)
la jeunesse victime de cette transformation réagit soit en contestant, soit en adoptant des modèles importés ; sa réaction a des incidences sur la vie politique, économique et socio-culturelle
les attitudes souvent négatives et punitives des adultes face aux jeunes.
Les causes :
l’agression culturelle qui fait que les valeurs originelles sont disloquées
l’éclatement de la vie familiale
la négligence de la vie sexuelle consécutive aux tabous religieux et sociaux.
Compte tenu de ce précède,
Recommande :
De situer l’éducation sexuelle dans le contexte global de l’éducation en général, car sa dignité et la nécessité urgente la placent au même niveau que l’éducation physique et sanitaire, l’éducation civique et morale, l’éducation intellectuelle et scientifique
D’éviter une mauvaise interprétation de l’éducation sexuelle en l’appelant selon le contexte social de chaque pays : éducation familiale ; initiation à la vie ; préparation à la vie du couple et de la famille
De contrôler sérieusement et, selon la gravité, d’interdire les moyens audio-visuels importés traitant de la sexualité et qui ne sont en réalité qu’une exploitation commerciale éhontée et abusive de l’Afrique
De considérer l’éducation sexuelle comme un facteur important du développement de la santé mentale de l’individu et de la société entière
D’intégrer les programmes d’éducation sexuelle dans les programmes de formation des enseignants, des médecins, des prêtres, des pasteurs, des marabouts, des assistants sociaux et assistantes sociales, des parents, des sages-femmes, des infirmières et infirmiers, des conseillers familiaux, des élèves et des étudiants
De créer et d’animer des foyers de jeunesse, d’organiser les loisirs des jeunes, de prendre des mesures pour le plein emploi, d’aider les jeunes à investir leurs désirs dans une formation professionnelle et dans le service d’autrui
De créer et de favoriser des centres pilotes pour le bien-être et l’équilibre de la famille par la régulation des naissances et la lutte contre la stérilité.
Après avoir présenté les points de vue à la fois des ‘’religieux’’ et autres éducateurs, à présent, je me fais le devoir de présenter le mien en ma qualité de sociologue, chercheur et consultant sur des questions d’éducation.
Je vais plutôt tenter de répondre à la question de départ (Faut-il introduire l’éducation sexuelle à l’école ?).
Mais, bien avant, je voudrais souligner que l’Afrique n’est pas un continent où l’on ignore la problématique de ‘’l’éducation sexuelle’’. A tous les âges de la vie de l’individu, l’éducation de façon globale, l’éducation sexuelle en particulier, est au centre de tous les intérêts. Le processus de « maturation de l’individu » commence dès l’âge de la petite enfance et continue tout au long de son évolution dans différentes sociétés secrètes comme nous le rappelle Alhassane CHERIF dans ‘’Structure de la famille guinéenne’’ (2017).
Contrairement au sens commun, le sexe n’est pas tout à fait « un tabou » en Afrique ; même si on en fait pas ‘’un jouet d’enfant’’. Car c’est l’essence même de l’humanité. Il suffit de lire ‘’L’enfant noir’’ du célébrissime CAMARA Laye pour en être édifier davantage.
Pendant les périodes d’initiation et à des endroits dédiés à cet effet, on aborde la sexualité dans toutes ses facettes ; on apprend à l’enfant (fille ou garçon) les moments propices d’une sexualité épanouie, les devoirs et droits conjugaux, les actes sexuels prohibés, la chasteté, la virginité, l’abstinence, la virilité, le choix du conjoint ou de la conjointe,…
Le masque de la fécondité Baga (le Nimba) et tant d’autres sont la preuve palpable de l’existence d’une éducation sexuelle en Afrique.
Nos contes, mythes, chants, danses,… sont aussi vecteurs de leçons d’éducation sexuelle. Nous y reviendrons de long en large sur ce point spécifique.
Parlant de la possibilité ou non de l’introduction des programmes d’éducation sexuelle dans le système éducatif, nous disons que c’est un débat qui ne devrait même pas se poser. La mission de l’école s’étend sur tous les aspects du processus de socialisation de l’individu. Nous sommes d’ailleurs ébahis du tollé général au tour de cette question. Cela donne l’impression qu’il y a un agenda caché de la part de certains promoteurs de l’éducation sexuelle en Afrique. La résistance des populations maliennes quant à l’introduction de l’éducation sexuelle dans les programmes d’enseignement et même du ministère en charge de l’éducation nationale guinéenne donnent beaucoup à réfléchir.
A notre avis, l’école étant « une société en miniature », le prolongement de la famille, a également pour vocation de développer les états tant bien physiques, moraux, intellectuels qu’affectifs de l’enfant. Surtout, à un moment où on assiste à la crise, voire à l’effritement, des instances sociales d’éducation, notamment la cellule familiale.
Comme l’a dit Madame Bâ Aminata à la clôture du séminaire de Bamako :
Tout effort au niveau de la seule famille serait vain, si l’école, le maitre et le professeur n’assurent pas la continuité de l’éducation familiale et si, dans la vie quotidienne, c’est-à-dire dans la société en général, les conditions ne sont pas créées pour permettre à l’enfant, à l’adolescent de bénéficier des possibilités réelles d’un épanouissement constant et équilibré.
C’est pourquoi l’éducation sexuelle […] doit s’inscrire dans le contexte de notre éducation générale et faire partie intégrante de tout un système collectif d’éducation permettant à l’enfant de s’épanouir et d’échapper au déséquilibre affectif, et à l’angoisse du lendemain.
Un retour aux sources, une nouvelle responsabilisation des familles et une implication réelle des autres instances sociales d’éducation (église, mosquée,…) s’avèrent aussi incontournables.
Une dernière mise au point : il faudrait veiller à ce que les contenus des programmes d’éducation en matière de sexualité soient conformes à nos valeurs sociales, morales et religieuses et adaptés à l’âge des enfants de chaque niveau du cycle scolaire.
Retenons que ni la tradition, ni les religions évoquées dans cette analyse (Islam et Christianisme) ne s’opposent à l’éducation sexuelle axée sur la connaissance de soi et le mariage. Une éducation sexuelle que je pourrais qualifier de ‘’positive’’.
Son introduction dans les programmes d’enseignement scolaires ne devrait, non plus, suscité autant de tollé car, l’école, à l’instar des autres instances sociales d’éducation, ne doit s’interdire aucun aspect de l’éducation globale des enfants, responsables de demain.
Mais, si le sexe ne doit plus être « un tabou »-d’ailleurs, il n’en a jamais été-, il ne devrait pas être, non plus, ‘’un jouet d’enfant’’. Il faudrait bien réfléchir aux questions de savoir :
Qui fera cette éducation ?
Dans quelle langue ?
A l’aide de quels outils ?
A partir de quel âge ?
Comme l’a dit Elbekaye KOUNTA « Toute philosophie d’éducation sexuelle qui ne se fonde pas sur le perfectionnement moral de l’homme est vouée à l’échec, de même que toute civilisation qui ne se fonde pas sur la notion du bien et de la vertu est trompeuse et fictive. Elle n’est que mirage.»
-Education sexuelle en Afrique Tropicale, Séminaire de Bamako, Centre de Recherche pour le Développement International, Ottawa, Canada, 1973
– CHERIF Alhassane, Structure de la famille guinéenne : éducation, transmission des valeurs familiales et citoyenneté, l’Harmattan Guinée, 2017
-CAMARA Laye, l’Enfant Noir, Plon.