Chers lecteurs toujours nous nous intéressons à la vie socio-professionnelle de ce grand commis de l’Etat qui est Ibrahima Cherif BAH ancien gouverneur de la BCRG.
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Après le ministère des finances vice-gouverneur de la BCRG .
J’ai été nommé en 1994 vice- gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée. Un poste un peu nouveau parce que les statuts de la BCRG avaient été entre temps révisés et modernisés avec l’aide des institutions Bretton Woods ( le FMI et la Banque mondiale ) ; ces nouveaux statuts prévoyaient le poste vice -gouverneur qui doit assister le gouverneur dans ses tâches de gestion opérationnelle de la Banque ainsi que de la gestion monétaire.
Je suis resté à ce poste pendant deux ans.
Ibrahima Cherif Bah, gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée
En 1996 j’ai été nommé gouverneur de la BCRG ,Banque Centrale de la République de Guinée ; poste que j’ai occupé pendant 8 ans c’est à dire jusqu’en mars 2004.
C’est un poste extrêmement sensible qui est sous la tutelle du chef de l’Etat tout en jouissant d’une certaine autonomie. C’est un poste qui doit rester indépendant hors de la pression du gouvernement, de tous les ministres et surtout du ministre des finances. Parce que le gouverneur collabore étroitement avec le ministre des finances dans le sens d’une collaboration responsable autonome.
La monnaie étant extrêmement sensible elle ne doit pas être sujette aux aléas des décisions ministérielles ; car le gouverneur dans son rôle de protection de la valeur interne de la monnaie (faible inflation) et de sa valeur externe (taux de change maîtrisé) est souvent en contradiction avec un ministre des finances qui souhaite toujours disposer de fonds pour faire face aux dépenses de l’Etat. C’est pour cela que les statuts prévoient que le gouverneur de la BCRG relève du chef de l’État car très souvent il y a des arbitrages importants à faire. Par exemple, quand l’Etat manque de liquidités et comme la Guinée est une zone monétaire indépendante, très souvent le gouvernement est tenté d’émettre de la monnaie ; le gouverneur doit pouvoir dire non : monsieur le ministre des finances, vous devez plutôt accroître vos recettes. Faites l’effort nécessaire qu’il faut car une émission monétaire sans contre partie, c’est à dire sans création de richesses est une source d’inflation. C’est pourquoi la BCRG doit être autonome .
Les moments les plus importants de Ibrahima Cherif Bah à ce poste.
1-Réussir à garder le franc guinéen non dévalorisé avec un taux de change raisonnable est un succès non négligeable pour un pays qui a connu la guerre avec l’agression rebelle de l’an 2000 avec des conséquences durables sur notre économie. Je dois dire qu’au moment où je quittais mes fonctions en mars 2004, le dollar américain s’échangeait contre 2000 FG au marché des changes interbancaire plus 2% sur le marché libre. L’écart était juste un coût d’opportunité .
2- Les négociations avec les institutions de Washington c’est-à-dire la Banque mondiale et le Fonds monétaire international dans le cadre du programme d’ajustement structurel devenu plus tard Programme d’ajustement structurel renforcé constituent des moments importants du travail d’un gouverneur de banque centrale de pays constamment sous ajustement. On apprend beaucoup dans ces négociations quelques fois très dures et intenses. Aujourd’hui, le programme a pris un nouveau nom à savoir programme de Facilité élargie de Crédit avec les mêmes principes de base : signature d’un mémorandum de politique économique avec le gouvernement, surveillance et respect de critères et repères quantitatifs et structurels, missions de revue périodiques etc…..
3- Un autre moment important est la négociation de la dette extérieure pour mieux la maîtriser et surtout la rééchelonner pour la rendre supportable par le budget de l’état. Cela se fait dans une négociation avec les pays créanciers réunis dans un groupe qu’on appelle Club de Paris.
4- Il y a aussi le moment de négociation avec les institutions africaines régionales et sous régionales. Par exemple au niveau de la CEDEAO nous avions discuté de cette affaire de zone monétaire unique, la ZMAO pour les pays non C FA. L’ensemble des pays de la zone tenait des réunions au niveau des gouverneurs qu’on appelle le conseil des gouverneurs de la CEDEAO. Et j’ai été plusieurs fois président de ces conférences. On travaillait bien sûr sur la ZMAO pour la mise en place de l’éco. Il y a eu du retard parce que la plupart des pays n’avaient pas de socle solide pour aller à l’intégration monétaire. Aujourd’hui on s’est rendu compte que le nom de la monnaie qu’on avait trouvé à l’époque c’est à dire l’éco la monnaie de la CEDEAO est accaparé par la zone UEMOA (CFA ) ;ils proposent que le CFA devienne l’éco avec un contenu différent ; car en effet nous n’avions pas envisagé d’adosser l’éco sur une monnaie étrangère avec une parité fixe, ni demandé la garantie d’un pays étranger, ni opter pour une parité fixe…
LE WAQF
Le WAQF est un concept musulman qui consiste à affecter un bien ou le revenu d’un bien à une cause sociale c’est-à-dire les pauvres et les couches vulnérables.
On a eu un fonds Waqf qui est obtenu grâce au succès éclatant d’une assemblée annuelle de la BID (Banque Islamique de Développement) que j’ai présidée ici en Guinée en 1996.
La BID a ainsi accordé une subvention de 5 millions de dollars à la Guinée pour construire un bâtiment à usage de bureaux dont les loyers seront affectés à la santé et à l’éducation. Ce nouveau système qui n’était pas encore introduit en Guinée nous a imposé de préparer une loi sur le Waqf. La BCRG a conduit ce travail et le projet de loi qui en a résulté a été discuté et adopté en conseil des ministres puis par l’assemblée nationale.
Suite à cela j’ai dit au président de la république ( F. Gal Lansana Conté ) que 5 millions pour un seul bâtiment c’est trop , faisons deux bâtiments d’autant plus que le gouvernement offre le terrain. Et finalement on a construit deux bâtiments. C’est un succès parce que ces bâtiments génèrent des milliards en ce moment. Et il y a même une extension de l’envergure du Waqf aujourdhui.
Je ne manquerai pas de vous dire quelque chose qui m’a frappé .C’était lors de l’inauguration du premier bâtiment je crois en 2006. on m’avait invité quand même, parce que je n’étais plus en poste. Ce jour là, non seulement ils ne nous ont pas présentés, Elh F. Mansour Fadiga secrétaire général de la ligue islamique à l’époque et moi , ils ne nous ont pas donné la parole mais nous étions fiers de nous parce que nous avons contribué à la réalisation de ce grand projet. Il faut dire que Elh Fadiga m’a beaucoup soutenu pour réaliser le Projet Waqf. Cette cérémonie d’inauguration a été l’occasion pour moi de comprendre que nos compatriotes rejettent très rapidement leurs anciens chefs dès lors qu’ils ne sont plus en position hiérarchique même s’ils n’ont pas failli à leurs devoirs professionnels.
L’agression rebelle 2000 et ses conséquences
En dehors des centaines de vies humaines perdues, des souffrances infligées à la population guinéenne pendant l’agression rebelle, une saignée financière importante a été enregistrée . Jusqu’à l’an 2000(septembre) ça allait un peu mieux pour l’économie guinéenne.
A partir septembre 2000 ,vu le coût de dépenses militaires généré par l’agression rebelle on a connu vraiment des années un peu plus difficiles.
Même après le retour de la paix des mauvaises habitudes étaient ancrées ce qui engendrait des dépenses qui devaient être normalement clôturées. Mais elles continuent encore jusqu’à aujourd’hui. C’est quelque chose qui était totalement négatif pour la Guinée et ses finances publiques surtout dans la rubrique dépenses de sécurité.
La création des agences de BCRG dans le pays.
Quand je prenais fonction en 1996, il n y avait qu’une seule agence ; c’était à Kankan créée pour encadrer l’achat d’or que nous faisons dans la région pour renforcer les réserves de change de la Banque centrale . Donc j’ai initié une politique de création d’agences commençant par celle de N’zerekoré en forêt. C’est une zone économique extrêmement importante où il y’a du travail, il y’a de la production agricole.
Ensuite à Labé qui est centre de cash, c’est un endroit où la liquidité circule beaucoup. Il était arrivé des moments qu’au lieu de transporter de l’argent de Conakry dans des camions pour approvisionner l’intérieur du pays on prenait les fonds directement à Labé , ce qui allégeait substantiellement le compte d’exploitation de la Banque.
Avant de quitter j’avais lancé les travaux de l’Agence de Kindia et mes successeurs ont pu faire Boké.
La création des agences a permis de galvaniser l’économie guinéenne un peut plus rapidement en permettant une meilleure bancarisation.
L’audit de la BCRG sous l’œil du fond monétaire international
Le gouvernement guinéen était très décrédibilisé à l’époque, on parlait de la corruption ,on parlait beaucoup de transactions opaques etc.. c’était pas fondé. C’était surtout l’œuvre de l’opposition à l’époque le RPG, UNR , UPR contre le gouvernement. Les partenaires financiers avec à leur tête le fonds monétaire international ont dit alors qu’il faut auditer la BCRG . Il y’a eu de la résistances du côté du gouvernement pour dire que cela est inacceptable, que c’est une institution de souveraineté et pourquoi le faire ? Mais Le président Conté a insisté sur la question de souveraineté , mais nous avons dit d’accord et puisqu’on n’a rien à nous reprocher et comme nous travaillons avec ces institutions de manière très transparente, allons à l’audit. Il a été conduit par un Cabinet indépendant de renommée internationale et choisi par appel d’offres Aucun problème de malversation n’a été rapporté par l’équipe d’auditeurs. Je dois dire que le ministre des Finances de l’époque, Kassory Fofana m’a aidé à convaincre le gouvernement et le chef de l’état sur la nécessité de faire l’audit. J’ai dit plus tard aux inspecteurs d’etat : croyez-vous que j’allais me battre pour que la Bcrg soit auditée si j’avais quelque chose à cacher. En tout cas , j’ai été le premier à faire auditer son institution de cette taille en Guinée.
C’est pourquoi quand après quelques années, les gens accusaient le gouverneur d’avoir fait des malversations durant sa tenure à la Bcrg, ils ne savaient pas de quoi ils parlaient.
C’est le lieu de parler de ces 8 tonnes d’or que le Capitaine Dadis a appelées « 8 tonnes de kilos d’or », erreur de langage qui a fait beaucoup rire à l’époque. Il s’agissait tout simplement d’une quantité d’or propriété entière de la Banque et qui faisait partie des réserves de change. Cet or était momentanément en position de swap pour permettre d’obtenir des liquidités et passer des moments difficiles.
DEPART A LA RETRAITE
Il y’a ce qu’on appelle le FGA ,le fichier général de l’administration géré par la fonction publique. Moi je suis un fonctionnaire de l’Etat détaché si vous voulez pour servir à la Bcrg . Quand il y’a eu l’arrêté du ministre de la fonction publique me mettant à la retraite, les gens ont voulu imposer au président Conté qu’il me dégage de la BCRG tout de suite. Il a refusé . Il dit <<je mets à la BCRG qui je veux, je peux mettre un fonctionnaire de 80 ans si je veux>> et il avait raison. Mais il y avait de très fortes pression sur lui surtout que quelques mois auparavant , j’avais augmenté le nombre de mes ennemis en dénonçant certaines transactions. Finalement, un décret du chef de L’Etat me mettant une deuxième fois à la retraite a été publié le 08 mars 2004 et qui disait » il faut cesser immédiatement de travailler »,ce qui était assez inhabituel.
A suivre !