L’excision, la polygamie, le mariage forcé ou encore le mariage précoce sont, entre autres, des pratiques séculaires qui ont la vie dure ; des faits sociaux rétrogrades pour la plupart qui freinent le développement socio-économique de notre continent voire de l’humanité tout entière. Ces pratiques sont génératrices de violences et, elles empêchent, particulièrement, la couche féminine de s’émanciper afin de jouir pleinement de la vie.
Pour ce qui concerne le mariage précoce, un fait social ahurissant qui fait couler beaucoup de larmes, d’encre et de salive dans la cité, le constat est très alarmant. Selon l’UNESCO : « Chaque jour, 41 000 filles sont mariées avant l’âge de 18 ans. Au total, 15 millions de filles par an subissent le même sort. »
-Quelles en sont les causes ?
-Quelles conséquences engendre-t-il (le mariage précoce) sur l’éducation des filles et leur vie future ?
-Que sais-je du mariage précoce (mes souvenirs) ?
-Comment endiguer cette pratique séculaire ?
Telles sont, entre autres, des questions que nous développerons au cours de cette réflexion.
Parlant des causes du mariage des enfants, autrement appelé ‘’mariage précoce’’, nous pouvons en retenir trois, principalement :
Les facteurs socio-culturels : En Afrique, particulièrement en Guinée, être mariée très jeune est une bénédiction divine et parentale. Ça procure un bon regard au sein de la société et une certaine fierté tant bien pour la famille de la mariée, particulièrement sa mère, que pour la jeune mariée elle-même.
Ça procure donc un certain privilège social, engendrant respect et considération. En guise d’exemple, la jeune mariée est généralement vouvoyée et jamais tutoyée par tous ceux qui doivent respect à son mari, notamment les neveux et nièces de ce dernier ainsi que ses premiers enfants s’il s’avère qu’il avait déjà une autre épouse. Cela, quel que soit le jeune âge de la mariée.
C’est, plutôt, le contraire qui est mal vu dans la plupart des sociétés africaines. Retarder le mariage suscite de nombreuses interrogations tant bien pour l’homme que la femme. On parle souvent de sorcellerie, de mauvais sort, de poisse et même de malédiction. Passer le cap des 25 ans sans se marier est qualifié de « sontougol » (retard accru pour le mariage en pular), source de pression voire même d’exclusion sociale.
La pression sociale pousse beaucoup de filles, « célibataires endurcies », à aller consulter les marabouts ou demander des doua, doubè ou douba (bénédictions en pular, soussou et malinké) aux imams et aux sages ; assortis de sacrifices divers. D’autres encore consultent les féticheurs et exécutent scrupuleusement les recommandations de ces derniers ; par exemple, casser des œufs dans un carrefour.
L’autre pan des facteurs socio-culturels à ne pas occulter est la question de la « virginité » si chère à certaines familles guinéennes. La vérification de la virginité de la nouvelle mariée est, généralement, le moment le plus attendu ; tout le monde tend l’oreille aussi bien du côté de la famille de la mariée que de ses beaux-parents. Celles qu’on trouve vierges font l’objet de multiples cadeaux de très grande valeur comme des boucles d’oreilles en or, des bœufs, etc. Elles sont raccompagnées dans la famille biologique dans une effervescence indescriptible. Elles gardent la « tête haute » toute leur vie, généralement vénérée par leurs maris. Par contre, celles dont la virginité a été, d’une façon ou d’une autre, ôtée avant le mariage, sont qualifiées avec condescendance de tous les noms d’oiseaux. Le terme chez les peuls est « Mamarai » (femme divergée avant le mariage ou qui a connu la sexualité avant le mariage) ; parfois, on y ajoute le qualificatif « Thiagarai » (qui aime trop les hommes, la sexualité, non sérieuse, frivole). Elles vivent un mépris et une honte indélébiles. Elles font la honte de leurs familles et, elles sont généralement reléguées au second rang dans les foyers polygames.
C’est donc par peur de se retrouver dans cette dernière situation, mais aussi et surtout, pour éviter toute grossesse hors-mariage, que les parents donnent la main de leur fille au premier venu sans, pour autant, se soucier de son âge. On se fonde généralement sur la tradition et sur la religion musulmane. C’est une véritable phobie qui s’empare des parents dès que leur fille commence à voir ses premières règles ou bien dès que ses seins commencent à pousser. On veut coute que coute qu’elle s’en aille. Car, nul ne souhaite que sa fille ait un « batard » (enfant né hors mariage, Gnanga mady en Sousou) dans sa famille biologique. Si dans certaines familles, cet état de fait n’est pas répugné, dans d’autres, par contre, c’est une honte subséquente ; un fait mal vu et intolérable par la société. L’enfant qui naitra subira, lui-même, ce mauvais regard toute sa vie, souvent victime d’injures grossières, d’humiliations publiques, de rejet et s’exclusion sociale.
La perte progressive de l’autorité parentale : La mondialisation, l’accès incontrôlé des enfants et adolescents aux réseaux sociaux et aux sites de tout genre, l’influence parfois négative des médias, la cherté de la vie et la course à l’enrichissement, font perdre petit à petit l’autorité des parents sur leurs enfants y compris les filles. Beaucoup de responsables de familles ont aujourd’hui peur de leurs enfants ou, ils n’ont ni le temps ni les moyens nécessaires pour leur éducation.
La jeune fille est souvent considérée comme une réelle charge pour la famille dont on est prêt à se débarrasser à tout moment.
Les enfants à leur tour, n’écoutent presque plus leurs parents. Le déracinement est tangible partout.
La pauvreté et l’ambition démesurée :
Dans beaucoup de familles pauvres, généralement polygames et très vastes, on préfère sacrifier la jeune fille en la déscolarisant et en la donnant en mariage de façon précoce voire même forcée.
Egalement, les jeunes garçons qui ne feront pas preuve d’intelligence à l’école, connaitront le même sort. Seuls ceux (les jeunes garçons) qui se montreront endurants et persévérants, pourront continuer leurs études jusqu’à des niveaux élevés (collège, lycée, université,…).
Par ailleurs, il suffit juste qu’un ‘’monsieur’’, quel que soit son âge, même s’il est plus âgé que le père de la fille, se présente dans la famille et qu’on ait l’impression qu’il a un peu de moyens ; on ne demande même pas l’avis de la fille et, on devient sourd face aux ‘’défenseurs des droits de l’homme’’ et très irrité contre les « féministes » en particulier.
C’est une forme de marchandage humain, on donne la fille, bon gré, mal gré, à celui qui est susceptible de prendre toute sa belle-famille en charge et d’envoyer son beau-père et/ou sa belle-mère à la Mecque. Autrement dit, on donne la famille au plus offrant.
Parlant des conséquences du mariage précoce ou mariage des enfants, elles sont multiples et désastreuses. Nous ne pourrons mieux dire que les conclusions du rapport élaboré par le Partenariat Mondial de l’Education (PME) :
Le mariage des enfants est un obstacle majeur à tout progrès sur l’éducation des filles ;
60% des filles-épouses des régions en développement n’ont pas d’éducation scolaire. Sans les mariages des enfants et les grossesses précoces, les disparités de sexe en matière d’éducation pourraient potentiellement être réduites de moitié. Malheureusement, d’après ‘’le rapport mondial de suivi sur l’éducation’’, élaboré par l’UNESCO en 2018 : 34% des pays n’ont pas atteint la parité dans l’enseignement primaire, 55% dans le premier niveau de l’enseignement secondaire et 75% dans le second niveau de l’enseignement secondaire ;
Les filles-épouses qui souhaitent continuer leurs études se trouvent parfois dans l’impossibilité pratique et légale de le faire, généralement le mariage est synonyme de fin d’étude ;
Les filles qui se marient jeunes ne bénéficient pas des opportunités éducatives et économiques qui pourraient les aider à s’extraire de la pauvreté et qui sont nécessaires à la construction d’un avenir pérenne et prospère pour leurs communautés et leurs pays.
Comme le souligne-t-on dans le rapport de ‘’l’étude économétrique de la relation entre le mariage précoce et le niveau de scolarité’’ de la Banque Mondiale :
Chaque année de mariage précoce pour une fille (c’est-à-dire avant l’âge de 18 ans) correspond à une réduction de la probabilité d’achèvement du cycle secondaire de quatre à dix points de pourcentage selon le pays ou la région. Ceci entraîne pour les jeunes filles mariées des revenus moindres à l’âge adulte puisque leur faible niveau d’études les empêche d’obtenir un bon emploi. En outre, le mariage précoce, en limitant le niveau d’éducation des jeunes mariées, réduit également les perspectives d’éducation pour leurs enfants.
Bien avant d’aborder les solutions qui nous permettraient d’endiguer cette pratique (mariage précoce) aux conséquences dramatiques, je voudrais partager une petite expérience alarmante et révoltante.
J’ai l’école primaire et le collège à Mamou, respectivement dans le village de N’Dindo et au collège de Dounet-Centre.
Aucune des filles avec lesquelles nous avons commencé l’école primaire n’a atteind le lycée, à ma connaissance. Elles étaient pourtant très nombreuses et, beaucoup d’entre elles ne s’en sortaient pas mal à l’école ; d’autres même se plaçaient très bien lors des évaluations trimestrielles. Malheureusement, la plupart d’elles se marièrent très tôt.
Au collège de Dounet, je ne me souviens pas avoir étudié avec une fille de la 8e à la 10e année. Hélas !
Il faut ainsi noter qu’en 2016, le taux d’achèvement au primaire était de 59,4% dont 49,9% de filles ; celui du collège était de 29,5% dont 22,5% de filles.
Pour endiguer le mariage précoce, un véritable frein à l’épanouissement de la couche féminine, retenons, entre autres, les propositions ci-après :
Le maintien des filles à l’école est souvent le meilleur moyen de retarder le mariage ;
Il est essentiel que le secteur de l’éducation intègre à ses plans pour l’éducation des filles, un objectif visant à mettre fin au mariage des enfants ;
Il faut une synergie d’actions des organisations de la société civile, notamment de défense des droits de l’homme pour, d’une part, mettre pression sur les pouvoirs publics afin qu’ils fassent respecter, strictement les lois en la matière et d’autre part, mener des campagnes de grande envergure en matière de sensibilisation et d’information sur les dangers liés au mariage précoce ainsi que la législation qui le régit ;
Il faudrait aussi que les ONG œuvrant dans le domaine de la protection de l’enfance et de la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) changent d’approches, en utilisant des approches communautaires car, nos lois sont souvent en déphasage avec nos réalités socio-culturelles. Les conseils de sociologues bien avertis pourraient les être utiles à cet effet.
Il ne serait pas aussi bête de mener des études spécifiques pour cerner davantage le problème de mariage précoce en Guinée. Ce qui permettrait aux uns et aux autres d’agir conséquemment.
En fin, comme nous venons de le constaté, le mariage précoce, une pratique aux conséquences dramatiques pour l’émancipation des filles-épouses et, il aura un impact négatif sur sa vie future et même celle de ses enfants.
Des actions bien coordonnées, bien concertées et implicatives des populations concernées, seraient à la fois salutaires et salvatrices.
Dans un rapport, publié en octobre 2017, la Banque Mondiale indique : « Le faible niveau d’éducation et le mariage précoce des filles affectent profondément leurs trajectoires de vie. »
Aboubacar Mandela CAMARA
Sociologue/Consultant en éducation/Auteur