Les prévisions d’avant la crise sanitaire promettaient de bons taux de croissance. Le Covid-19, qui les a toutes contrariées, va faire payer à l’Afrique un lourd tribut.
Récession, chômage… L’Afrique subsaharienne, déjà fragile, va subir de plein fouet les conséquences économiques de la pandémie de coronavirus, même si le continent est encore peu touché sur le plan sanitaire. Certains secteurs clés connaissent déjà un fort ralentissement en raison de la pandémie. Le tourisme, le transport aérien et le secteur pétrolier sont directement touchés. Cependant, les impacts visibles ne sont attendus que dans plusieurs mois en fonction de la durée de la pandémie sur le continent africain. Même si l’Afrique a toujours été exposée aux chocs extérieurs, cette fois, il semble que toutes les prévisions soient remises en cause.
Plusieurs institutions financières ont rapidement esquissé des pistes de solution. Il est notamment conseillé aux pays africains d’opter pour une approche politique à court terme prenant en compte les spécificités de leur économie. En particulier, le poids de l’emploi informel (89 % de l’emploi total), la précarité des emplois, la prédominance des petites et moyennes entreprises qui constituent 90 % des unités commerciales et sont le moteur de la croissance. La plupart des gouvernements doivent déjà imaginer un contexte de reprise post-pandémie.
1. Récession économique en Afrique subsaharienne
Pour la première fois en 25 ans, l’Afrique subsaharienne va connaître une récession économique, prévoit la Banque mondiale (BM). Après une croissance de 2,4 % en 2019, la récession devrait se chiffrer en 2020 entre – 2,1 % et – 5,1 %.
Les économies africaines sont victimes de la chute brutale de la croissance de leurs principaux partenaires commerciaux (particulièrement la Chine, la zone euro et les États-Unis), des cours des matières premières, de la baisse de l’activité touristique, ainsi que des effets des mesures de lutte contre la pandémie, comme le confinement, analyse la BM. La Banque africaine de développement (BAD) est moins pessimiste, avec une prévision de récession entre – 0,7 % et – 2,8 %.
2. Des dizaines de millions d’emplois menacés
Selon l’Union africaine (UA), « près de 20 millions d’emplois, à la fois dans les secteurs formel et informel, sont menacés de destruction ». Pour l’ONU, ce nombre pourrait aller jusqu’à 50 millions. « Il n’y a plus de recettes, les gens hésitent à prendre le taxi de peur d’être contaminés par ce maudit virus », affirme Issa Djibril Batada, un des 8 000 chauffeurs de taxi de Niamey cité par l’AFP.
3. Transferts de la diaspora en baisse
Le chômage et le ralentissement économique touchent aussi les travailleurs africains de la diaspora et leurs transferts de fonds – souvent vitaux vers leurs pays d’origine – s’effondrent. Pour le Sénégal, ces transferts représentaient 10 % du PIB en 2018, et 5,5 % pour le Mali, selon le cabinet d’analyse Bloomfield Investment.
4. Matières premières en chute libre
Les deux principales économies d’Afrique subsaharienne vont subir de fortes récessions (6 à 7 %, selon la BM) à cause de la baisse des prix des matières premières qu’elles exportent : métaux précieux pour l’Afrique du Sud, où le confinement réduit au chômage 450 000 mineurs, et pétrole pour le Nigeria (70 % des recettes publiques). Idem pour l’Angola, deuxième exportateur pétrolier africain.
Les cours du pétrole sont tombés à entre 20 et 30 dollars le baril. Soit proche « du coût de production au Nigeria », ce qui a entraîné l’arrêt des investissements, puisque continuer à produire « n’a pas de sens à long terme », explique le patron d’une compagnie privée.
L’or, traditionnelle valeur refuge et l’un des principaux produits d’exportation de pays comme le Burkina et le Mali, n’est pas à l’abri. « La perturbation du transport aérien et l’arrêt de l’activité de certaines raffineries devraient limiter les exportations d’or », selon Bloomfield Investment.
5. Tourisme et secteur aérien touchés
Interdiction de voyager et confinement ont mis le tourisme et le trafic au point mort sur le continent.
En Afrique du Sud, pays le plus touristique de la zone avec un chiffre d’affaires de 21,5 milliards d’euros en 2018, « l’épidémie a déjà impacté très négativement le secteur, et ça va continuer », s’alarme Hlengiwe Nhlabathi du ministère du Tourisme. Quelque 1,5 million d’emplois sont en jeu.
La crise du secteur touristique va se répercuter sur toute « la chaîne d’approvisionnement : agriculture, pêche, banques, assurances, transports, culture et divertissement », relève-t-elle. « On a tout arrêté parce qu’on n’a plus de client. On a libéré les deux tiers des employés, soit une vingtaine de personnes », déplore Sidiki Dramane Konaté, gérant du complexe hôtelier Le Bambou au Burkina Faso.
Pour le Maroc qui a connu en 2019 un nombre record de touristes, avec 13 millions de visiteurs, en hausse de 5,2 % par rapport à l’année précédente, dépassant pour la première fois la barre des 12 millions, c’est un coup dur. Les recettes touristiques avaient atteint 78,6 milliards de dirhams (7,41 milliards d’euros), contre 73,04 milliards de dirhams (6,89 milliards d’euros) une année auparavant.
Avec 95 % de la flotte africaine clouée au sol, les compagnies sont en péril, faute d’un soutien financier rapide, selon l’Association des compagnies aériennes africaines.
6. Café et cacao menacés
En Éthiopie, premier producteur africain de café, les exportateurs subissent d’ores et déjà un « choc dévastateur », selon Gizat Worku, directeur de l’Association des exportateurs de café éthiopien.
Les principaux pays importateurs, Allemagne, Italie, États-Unis, France, sont à l’arrêt, explique le directeur général de l’Autorité éthiopienne du café et du thé, Adugna Debela.
Le café représente 5 % du PIB du pays et emploie directement et indirectement 25 millions de personnes (sur une population d’environ 110 millions), selon l’Autorité.
À court terme, la crise du coronavirus n’aura pas d’impact important sur le marché du cacao, selon le directeur de l’Organisation internationale du cacao, Michel Arrion, car les grands pays importateurs (Europe, États-Unis) disposent de 1,8 million de tonnes de stock, soit 4 à 5 mois de production.
Mais « il y a une réelle inquiétude chez les planteurs d’une baisse de prix à long terme », souligne Moussa Koné, président du Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial avec 40 % du marché. L’« or brun » représente un tiers des exportations ivoiriennes et fait vivre 5 à 6 millions de personnes.
7. Endiguer la crise
Plusieurs pays africains ont annoncé des plans de soutien économiques et sociaux.
Mais « avec moins de 20 % de la population employée dans le secteur formel, avec des systèmes de protection sociale inexistants pour le secteur informel, sans régime d’assurance chômage, avec des possibilités très restreintes de soutien de l’économie par les finances publiques, la situation est particulièrement critique pour l’Afrique », souligne le cabinet d’analyse Finactu.
Les pays africains demandent un soutien massif de la communauté internationale et une réduction de leur dette. Il faut un « plan Marshall » pour l’Afrique, résume le président nigérien, Mahamadou Issoufou.
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