Le secteur privé de l’éducation nationale est laissé pour compte. C’est l’anarchie totale, une jungle qui ne dit pas son nom. Les « écoles-boutiques » sortent de terre comme des champignons, sans aucune véritable règlementation ou suivi réel. Le laxisme et la corruption y sont érigés en normes ; le mérite en est l’exception.
Les fondateurs, dans la plupart des cas, se soucient beaucoup plus des bénéfices à engranger à la fin du mois que de la qualité de l’enseignement, encore moins de l’amélioration des conditions de vie et de travail des personnels (encadreurs et enseignants).
-Quelle est la part de l’offre de l’enseignement privé en Guinée ?
-Quels sont les facteurs explicatifs de la précarité des enseignants du privé ?
-Comment pourrait-on améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants du privé ?
En effet, l’offre de l’enseignement privé représente une part importante en Guinée. Une lecture minutieuse des rapports ‘’Analyse sectorielle de l’éducation et de la formation en Guinée, Avril 2019’’ et ‘’Rapport d’analyse des statistiques scolaires 2015-2016’’, nous permet d’évoquer les données ci-après :
Concernant l’offre éducative privée
Au Préscolaire : au niveau national, les structures privées représentent 81% de l’offre ;
Au Primaire : le privé représente 23% de l’offre du primaire en 2016 (contre 22% en 2006) au niveau national ;
Au Secondaire : les établissements privés représentent 62% de l’offre contre 38% pour les établissements publics au 1er Cycle (Collège) et 41,9% au secondaire 2e cycle (lycée) ;
A l’Enseignement Technique et la Formation Professionnelle : plus de la moitié des établissements sont privés (54%) ;
A l’Enseignement Supérieur : l’offre d’enseignement supérieur est dominée par le privé où celle-ci représente 71% en 2016.
Concernant le statut des écoles (enseignement pré-universitaire, 2015-2016):
6 638 écoles publiques (69%)
2 202 écoles privées (23%)
719 écoles communautaires (8%)
Pourcentage des enseignants selon le statut de l’école sur le plan national (enseignement pré-universitaire):
Public : 63%
Privé : (34%)
Communautaire (3%).
Parmi les facteurs explicatifs des conditions de vie et de travail précaires des personnels de l’enseignement privé, les enseignants en particulier, nous pouvons noter que :
l’enseignement privé, comme je l’ai dit ci-haut, est laissé pour compte : en guise d’illustration, malgré la part importante et galopante de l’offre de l’enseignement privé, la direction nationale qui s’occupait de ce secteur a été supprimé depuis 2017 par l’ancien ministre, Ibrahima Kalil KONATE (K au carré) ;
les écoles privées représentent une véritable jungle : les enseignants n’ont pas les mêmes traitements. Ceux qui sont ‘’durs’’, capables de drainer de la clientèle ou ayant des bras longs au ministère voire bien introduits dans les réseaux mafieux y sont traités comme de petits princes et bénéficient généralement de promotion. Ils s’associent aux fondateurs sans scrupule pour dévorer les ‘’brebis’’ (les enseignants soumis à tout prix, moins expérimentés, moins populaires, moins durs ou moins qualifiés). Ce qui fait que beaucoup de pauvres enseignants ont peur de se faire syndiquer ;
l’enseignement privé est aussi caractérisé par l’anarchie totale : le taux horaire est généralement imposé et, dans la plupart des cas, il n’y a pas de contrat écrit ou, il est tout simplement imposé ; à prendre ou à laisser ;
Les écoles privées sont, majoritairement, des « écoles-boutiques » : les fondateurs se soucient beaucoup plus des bénéfices à engranger à la fin du mois pour eux et pour leurs familles que de l’amélioration des conditions de vie et de travail des personnels (encadreurs et enseignants), encore moins de la qualité de l’enseignement donné.
Pour pallier à cette situation déshonorante et déshumanisante (précarité des enseignants du privé), il faudrait :
A l’urgence :
Elaborer un plan économique spécial pour le secteur de l’éducation en cette période de COVID-19 tout en mettant un accent particulier sur l’enseignement privé, notamment l’octroi de subventions spéciales aux écoles.
A court terme :
Restaurer la direction nationale de l’enseignement privé qui veillera au fonctionnement normal des établissements et à la qualité des apprentissages ;
Réviser les textes qui régissent le fonctionnement des écoles privées en tenant compte de l’amélioration considérable des conditions de vie et de travail des personnels y exerçant y compris les enseignants (contrats annuels ou contrats à durée indéterminée, imposition d’un taux horaire minimal et l’assurance maladie, accès aux prêts bancaires, formations continues des formateurs,…).
A défaut, il faudrait rattacher tous les enseignants à la fonction publique à travers les ministères en charge de l’éducation et de la formation. Ces derniers s’occuperaient ainsi du recrutement, de la formation continue, de l’affectation tant bien au public qu’au privé et du traitement salarial. Dans ce cas, les fondateurs d’écoles et d’universités privées seront amenés à sous-traiter avec les ministères concernés.
Cette dernière option favoriserait non seulement la protection des enseignants (traitement décent), la lutte contre l’anarchie et la corruption mais aussi et surtout la qualification de l’éducation.
Aboubacar Mandela CAMARA
Sociologue/Chercheur et Consultant en éducation/Auteur