Le père de la révolution burkinabè a trouvé la mort dans un coup d’État le 15 octobre 1987.
Enfin ? Trois décennies après l’assassinat de Thomas Sankara, le procès reprend ce lundi à Ouagadougou après le report annoncé lors de son ouverture le 11 octobre. Après l’enquête, 14 personnes ont été inculpées dans l’affaire, dont Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré.
L’ancien président burkinabé, aujourd’hui âgé de 70 ans, vit en exil en Côte d’Ivoire, un pays dont il détient la nationalité depuis 2015.
Ses avocats annoncent qu’il ne fera pas le déplacement à Ouagadougou pour assister au procès sur l’assassinat de son ancien frère d’armes et ami. Me Pierre Oliver Sur assure que son client n’a jamais été « convoqué pour un interrogatoire » et qu' »aucun acte ne lui a jamais été notifié, sinon sa convocation finale devant la juridiction de jugement ».
Il ajoute aussi que Blaise Compaoré bénéficie « de l’immunité en tant qu’ancien chef de l’Etat ».
Vous pensez tout savoir sur cette affaire ? Lisez la suite.
Vous avez tout oublié ? Vous n’étiez peut-être qu’un enfant, ou peut-être même pas encore né quand l’ancien président burkinabè Thomas Sankara et 12 de ses compagnons ont été tués le 15 octobre 1987 à Ouagadougou.
Le capitaine est arrivé au pouvoir lors d’un coup d’État en 1983. Il avait alors 33 ans lorsqu’il a pris la tête de la Haute Volta, qu’il a rebaptisé Burkina Faso, le « Pays des Hommes Intègres ».
Il passera 4 ans à la tête du pays, mais son souvenir reste vivace à l’intérieur tout comme à l’extérieur du Burkina Faso.
Celui que l’on surnomme le Che Guevara de l’Afrique n’avait que 37 ans lorsqu’il a été tué.
Que s’est-il passé ce jour-là?
Arrivé au pouvoir en 1983 après un coup d’Etat appuyé par une insurrection populaire contre Jean Baptiste Ouédraogo, Sankara fait de la fin des injustices sociales son cheval de bataille et de la lutte contre la pauvreté et la corruption, ses principales priorités.
Le jeudi 15 octobre 1987, selon le témoignage servi par Halouna Traoré, le seul rescapé de la tuerie, le président Thomas Sankara venait de démarrer une réunion avec des collaborateurs lorsque des soldats armés ont pris d’assaut le Conseil de l’Entente, siège du Conseil national de la Révolution (CNR).
Pour éviter que des innocents soient tués, Thomas Sankara aurait déclaré : « ne bougez pas, c’est de moi qu’ils ont besoin ».
Le président du Faso serait alors sorti, les mains en l’air pour se rendre. Mais rien n’y fait.
Il sera criblé de balles et s’écroulera sur le perron de la salle de réunion du bâtiment « Burkina » du Conseil de l’Entente, gisant dans une mare de sang.
Cette version des faits a plutôt été relatée par Valère Somé, proche ami et collaborateur de feu Sankara dans son livre « Thomas Sankara, l’espoir assassiné » publié en 1990.
Dans maintes interviews, Valère Somé avoue avoir reconnu trois membres du commando.
Après avoir abattu Sankara, les soldats seront passés à l’intérieur de la villa pour tuer les autres participants à la réunion.
Une version que corrobore aussi le journaliste Malgache de regrettée mémoire Sennen Andriamirado.
L’auteur du livre « Il s’appelait Thomas Sankara », se présentant comme ami de l’ex président assassiné, a mené une enquête pendant un an, se basant lui aussi sur le témoignage de Halouna Traoré, et analysant les mouvements de la classe politique et militaire burkinabè pendant l’année qui a suivi l’assassinat de Thomas Sankara.
Mais ce n’est qu’une version. En réalité, les faits entourant cette journée restent inconnus. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles ce procès a été si attendu.
Pour dénouer le déroulement des évènements, les documents d’archives seront nécessaires. Le 18 mars 2021, le Réseau international Justice pour Thomas Sankara a demandé à la France de déclassifier les archives. Une promesse faite par Emmanuel Macron il y a bientôt 4 ans.
« J’ai pris la décision que tous les documents produits par les administrations françaises pendant le régime de Sankara et après son assassinat couvertes aujourd’hui par le secret défense nationale soient déclassifiés pour être consultées en réponse aux demandes de la justice Burkinabè » déclarait à Ouagadougou, le président Français lors d’une visite dans la capitale du Burkina Faso, le 28 novembre 2017.
La France a transmis à trois reprises des lots d’archives déclassifiées aux autorités Burkinabè. Les lots étaient constitués des notes d’analyses, des notes de renseignements, etc.
La dernière remise a eu lieu le 17 avril 2021, après les deux premières respectivement en octobre et en décembre 2018.
Qui est accusé et quelles peines potentielles encourent-ils ?
Le procès n’a pas pu s’ouvrir sous le règne de Blaise Compaoré au pouvoir de 1987 à 2014.
Mais en 1997, soit 10 ans après l’assassinat de son époux, sa veuve Mariam Sankara avait déposé une « plainte contre X pour assassinat et faux en écriture administrative » qui était déclarée irrecevable par le tribunal de grande instance de Ouagadougou.
Au total, 22 personnes sont citées au départ dans cette affaire, parmi lesquelles l’ancien président Blaise Compaoré et son garde du corps Hyacinthe Kafando, qui sont tous deux réfugiés en Côte d’Ivoire et sous le coup d’un mandat d’arrêt international.
La justice militaire a finalement prononcé la mise en accusation contre 14 personnes dans le dossier de l’assassinat de Thomas Sankara.
Cette mise en accusation est intervenue après le bouclage de l’enquête menée par le juge d’instruction en charge du dossier au tribunal militaire de la capitale burkinabè.
Les accusés
Blaise Compaoré, camarade de Thomas Sankara de la promotion 1974 à l’EMIA de Yaoundé. Numéro 2 sous la révolution, il a pris la tête du pays après l’assassinat de Sankara. Blaise Compaoré passe 27 ans au pouvoir avant d’être renversé par la rue en octobre 2014. Il est aujourd’hui accusé de « recel de cadavre, attentat à la sûreté de l’Etat et complicité d’assassinat »
– Général Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré : Condamné à une peine de 20 ans de prison pour son rôle lors du coup d’Etat manqué de 2015. A l’époque des faits il était lieutenant, adjoint de Blaise Compaoré au centre national d’entraînement commando. Il est accusé « d’attentat à la sûreté de l’Etat », de « complicité d’assassinat, recel de cadavre et subornation de témoins ».
– Hyacinthe Kafando, ancien chef de la sécurité de Blaise Compaoré. Il est cité comme celui qui a dirigé le commando qui a assassiné Sankara et ses 12 compagnons.
– Diébré Jean Christophe, médecin colonel, signataire de l’acte de décès du président Sankara. Dans l’acte, Il dit que celui-ci est décédé de mort naturelle. Avec Hamado Kafando, ils sont accusés de « faux en écriture publique. »
Mais il y a aussi Traoré Bossobe, inculpé pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat,
Tondé Ninda dit Pascal, membre de la sécurité renforcée de Blaise Compaoré. Tout comme la plupart des hommes cités, il est soupçonné de « subornation de témoins. »
La justice Burkinabè cite aussi Jean Pierre Palm, ancien ministre des Sports de Blaise Compaoré, Ouedraogo Nabonswende, Idrissa Sawadogo, Ouedraogo Tibo, Ilboudo Yamba Élisée, Kafando Hamado, Belemlilga Albert Pascal Sibidi, Deme Diakalia poursuivis pour complicité d’attentat.
Quelle est la réponse des accusés ?
Les 14 accusés sont tous vivants et la majorité réside au Burkina Faso.
Ils n’ont jamais pris la parole, mais selon leurs avocats, le dossier est « prescript ».
En droit, un dossier prescript signifie qu’il a été ouvert après la durée au-delà de laquelle une action en justice, civile ou pénale, n’est plus recevable.
Au Burkina Faso, cette durée est de 10 ans après les faits.
33 ans. Pourquoi cela a pris si longtemps pour organiser un procès ?
CRÉDIT PHOTO,A
Mariam Sankara, la veuve du président Thomas Sankara assassiné le 17 octobre 1987, pose avec le président de la Transition du Burkina Faso, Michel Kafando, le 27 mai 2015 à Ouagadougou.
Il aura donc fallu le renversement de son successeur, et camarade d’arme, Blaise Compaoré, avec qui ils avaient étudié à l’école militaire inter armées de Yaoundé au Cameroun, pour que le procès s’ouvre au tribunal militaire.
En accédant au pouvoir par intérim, le président Michel Kafando avait promis lors de son discours d’investiture le 21 novembre 2014 de diligenter l’enquête sur la mort de Sankara, au nom de la réconciliation nationale.
Le Ministère de la Défense donne un ordre de poursuite au procureur militaire qui ouvre une instruction en mars 2015.
Depuis l’ouverture de l’affaire au tribunal militaire en 2015, une centaine de personnes ont été auditionnées, la dépouille de l’ancien révolutionnaire a été exhumée pour des analyses ADN.
Seulement, les analyses réalisées courant 2015 n’ont pas été concluants, et n’ont donc pas permis de déterminer s’il s’agissait de la dépouille de Thomas Sankara, selon la justice.
Le 13 février 2020, le juge d’instruction, François Yaméogo, a mené certains témoins, dont Gilbert Diendéré, sur les lieux du crime, avec les avocats des parties civiles pour une reconstitution des faits.
Blaise Compaoré sera-t-il (pourrait-il être) obligé de comparaître ?
Blaise Compaoré vit en exil en Côte d’Ivoire
Si bien qu’il ait toujours nié son implication dans l’assassinat de son ami et frère d’armes Thomas Sankara, presque tous les regards à Ouagadougou se tournent vers Blaise Compaoré dont la présence au procès n’est pas certaine.
Exilé au pays de son épouse, la Côte d’Ivoire, depuis 2016, Blaise Compaoré est visé par un mandat d’arrêt international. Il a obtenu la nationalité ivoirienne quelques mois après son arrivée et y mène une vie discrète.
Ses avocats annoncent qu’il ne fera pas le déplacement à Ouagadougou pour assister au procès sur l’assassinat de son ancien frère d’armes et ami.
Me Pierre Oliver Sur assure que son client n’a jamais été « convoqué pour un interrogatoire » et qu' »aucun acte ne lui a jamais été notifié, sinon sa convocation finale devant la juridiction de jugement ».
Il ajoute aussi que Blaise Compaoré bénéficie « de l’immunité en tant qu’ancien chef de l’Etat ».
Son extradition dans le cadre de ce procès ne semble pas au programme des autorités ivoiriennes.
Depuis son arrivée dans le pays, aucun officiel ivoirien ne s’est prononcé sur l’affaire. Petit rappel, lorsque la Côte d’Ivoire a sombré dans la violence postélectorale en 2010, Blaise Compaoré était facilitateur dans le processus de paix.
La justice Burkinabè promet de le juger par contumace au cas où il ne revenait pas aux pays.
Que veulent les familles des victimes et quel est leur rôle dans ce procès?
Les familles, représentées entre autres par Me Prosper Farama, Me Guy Hervé Kam, Me Benewendé Sankara, tous constitués partie civiles, disent vouloir la vérité et la justice.
La « plainte contre X pour assassinat et faux en écriture administrative » déposée en 1997 par Mariam Sankara, la veuve de Thomas Sankara n’avait pas prospéré, déclarée irrecevable par le tribunal de grande instance de Ouagadougou.
Elle contestait le certificat de genre de mort signé du colonel médecin Jean Christophe Diébré qui indiquait que le décès de Thomas Sankara était une « mort naturelle », explique Me Prosper Farama, avocat de la famille.
Aujourd’hui, le procureur poursuit le signataire dudit certificat pour « faux en écriture publique ». Seul le procès attendu depuis 33 ans viendra établir les responsabilités sur le meurtre du guide de la révolution Burkinabè.
BBCafrique