Ce lundi 9 octobre 2023, s’est poursuivie le procès des massacres du 28 septembre 2009 devant le tribunal criminel de Dixinn, délocalisé à la Cour d’appel de Conakry. Et, c’est le journaliste Mouctar Bah, correspondant de RFI en Guinée, une des parties civiles à ce procès qui est appelé à la barre.
Ce journaliste témoigne être victime au stade de Conakry le 28 septembre 2009 .
« Lundi matin (le 28 septembre 2009), je suis allé au stade. J’étais devant la pharmacie Manizé, lorsque le colonel Tiegboro est arrivé avec des gendarmes, il a été vraiment applaudi par des jeunes qui étaient là-bas. A ce moment-là, il n’y avait pas de manifestation. Après, une petite ambiance bon enfant, il y a eu une foule qui est arrivée du côté de la Belle Vue, de Dixinn et de Madina, du côté de Pharma-Guinée, il y a eu jonction au stade. Quand ils sont arrivés, le stade était fermé, il y avait des gendarmes, il y avait les hommes du gouverneur Diop qui étaient devant le grand portail du stade. Quand ils (manifestants) sont arrivés, et Tiegboro et les gendarmes, tout le monde a fui. Ils sont allés devant l’université Gamal Abdel Nasser.
Je ne sais pas comment les portes ont été ouvertes, parce que les gendarmes avaient vraiment quitté. Je ne sais pas s’ils ont laissé les portes ouvertes ou si ce sont les manifestants qui ont ouvert. En tout cas, ils (les manifestants) rentrés avant que les gendarmes et les policiers ne reviennent. C’étaient les policiers de la CMIS de Cameroun. Quand ils sont revenus, il y avait Bafoé (ancien directeur général police) et Tiegboro qui étaient là-bas. Il y a eu des disputes, le ton est monté, pour ceux qui étaient encore dehors et ceux qui arrivaient, Tiegboro a dit (aux agents) : chargez ! J’ai entendu quelqu’un dire ici la semaine passée qu’il a dit : saccagez ! Non, il a dit chargez ! Quand Tiegboro a dit chargez, le désordre a commencé. Matraque, gaz lacrymogène, coups de pieds, ça a vraiment dégénéré.
C’est à ce moment-là que des policiers de la CMIS m’ont arrêté, ils ont arraché mes appareils, ils les ont cassés sur le goudron, et ils m’ont embarqué dans un pick-up de la CMIS. Après, Bafoé est venu en courant quand il m’a vu dans le véhicule, il a crié sur les policiers, il les a insultés. Il a dit : descendez-le ! Vous êtes tous des ignares, il a vraiment insulté les policiers. Ils m’ont descendu. Je venais vers le carrefour lorsque j’ai entendu quelqu’un dire qu’il y a eu un mort. C’était vraiment première victime. Le corps était couché à l’abri de la police routière, au carrefour là-bas (Dixinn terrasse). Quand j’ai vu ça, je suis retourné dans le quartier, j’avais des amis là-bas, dans une concession, j’ai envoyé les premiers éléments », a-t-il expliqué.
Après cela, Mouctar Bah dit être retourné sur les lieux de la manifestation appelée par les Forces Vives d’alors, qui protestaient contre une candidature du capitaine Moussa Dadis Camara, le président de la transition, à l’élection présidentielle qui était en perspective. Et cette fois, le journaliste dit être allé directement à l’intérieur du stade, sans imaginer ce qui allait quelques instants après.
« Dès que j’ai mis mes pieds sur le gazon, j’ai entendu le crépitement d’armes. J’ai vu un déménagement indescriptible. Je n’ai pas compté mais il pouvait y avoir à peu près cinquante mille personnes au stade. Quand les armes ont commencé à crépiter, je ne savais même pas d’où venaient ces tirs-là. J’étais sur la pelouse, déménagement, désordre, c’était indescriptible, chacun se cherchait. Je suis sorti vers la porte par laquelle rentrent les footballeurs. Je voulais grimper le mur pour aller vers les rails mais je ne pouvais pas, j’ai vu des enfants qui grimpaient. Je suis allé derrière la tribune, j’ai rencontré mon ami Amadou Diallo de la BBC. Lui et moi, avons cherché un abri. Il y avait des bâtiments en chantier au terrain du basket, nous sommes rentrés nous cacher là-bas.
On voyait des manifestants escalader le mur de l’université (Gamal Abdel Nasser), on entendait les tirs, et les victimes retombaient dans la cour du stade, vers le stade annexe. On ne voyait pas les tireurs mais on entendait les crépitements des armes, et on voyait les enfants tomber pendant un moment. Après une accalmie, nous sommes sortis, et cinq militaires, des bérets rouges, nous ont arrêtés. Ils nous ont insultés, tout en disant qu’ils vont nous tuer. Ils ont dit : on va vous exécuter, mettez-vous à genoux ! Moi, j’ai dit que je ne me mets pas à genoux, parce que je ne suis pas un manifestant, je suis un journaliste. L’un d’entre eux m’a cogné dans le dos, je suis tombé dans la boue. Je me mets à genoux, un agent sort son arme et la pointe sur ma poitrine. Il me dit : on va te tuer, on va te flinguer.
Dans un climat de désespoir, j’ai dit : si c’est ce qui va sauver la Guinée, n’hésite pas hein, trois fois. C’est dans cette discussion que des hauts gradés sont venus en courant. Ils ont dit : laisser-les, ne les tuez pas hein, c’est des journalistes, ils étaient avec nous à Labé (lors de la visite que le capitaine Moussa Dadis Camara avait effectuée deux jours plutôt dans la ville de Labé). Parce qu’à Labé, Dadis avait dit : RFI et BBC sont là, et tous les officiers qui étaient avec lui nous ont vus. Donc, un des officiers appelle un policier et lui demande de nous faire sortir. Alors, lui, il coupe une branche d’acacia, on était trois maintenant, il y’avait un jeune handicapé de Liberté FM qui était avec nous.
Le policier qui avait une branche d’acacia disait : journalistes, journalistes. Il y avait des corps partout. Quand nous sommes arrivés au niveau du palais des sports, il y a eu une dame qui est sortie en disant : monsieur Bah, sauvez-moi, ils sont en train de violer les femmes. Ça criait dans le palais des sports. En passant, on a trouvé beaucoup de corps et des blessés qui ne pouvaient pas se lever. J’ai dit à la femme de venir avec moi, en disant qu’elle est mon assistante quand on lui demande (de se présenter). Quand nous sommes arrivés au portail, le policier dit : moi, ma mission est terminée ici. Il y avait des gendarmes qui mataient les gens sur la terrasse.
À la terrasse là-bas, on nous a arrêtés encore, quelqu’un a mis sa main dans ma poche, il m’a arraché 150 dollars et 300 000 francs guinéens. Ils ont voulu fouiller le sac d’Amadou Diallo, qui a voulu résister, ils lui ont tapé la main avec les matraques. On arrive au carrefour, des gendarmes en t-shirts verts nous interpellent là-bas en disant : on va vous tuer, vous n’allez pas raconter ça. Il y a un monsieur qui s’appelle Katy, qui était du protocole de Dadis ou de Sékouba Konaté, il est dans le dispositif protocolaire de la junte. Il a dit : c’est des journalistes, c’est mes amis, laissez-les. Les gens ne voulaient pas nous laisser, mais il avait un badge, il l’a sorti pour dire : moi, je suis du CNDD, on nous a laissés », a relaté le correspondant de RFI en Guinée.
Sortis de l’enfer du stade, les journalistes vont s’abriter dans une concession à Landréa. Ayant appris leur présence sur les lieux, Me Amara Bangoura, avocat au Barreau de Guinée, décide d’aller les chercher pour les emmener dans sa maison, où ils sont restés jusque dans la soirée.
« Le soir, à 18 heures, c’est Bangoura qui appelle un de ses frères ou cousins, béret rouge, ce dernier prend son arme et m’accompagne à l’université (Gamal Abdel Nasser), j’ai pris mon véhicule pour rentrer chez moi difficilement. Arrivé chez-moi, une fille qui travaillait avec moi à la radio Nostalgie m’a appelé. Elle m’a raconté que son oncle militaire l’a appelé pour dire qu’il y a eu une réunion au camp et qu’on a demandé après nous (BBC et RFI). Quelqu’un a dit qu’on était stade et qu’on est sortis. L’officier qui a appelé sa nièce pour lui dire de me dire de quitter la maison est parmi eux (les accusés) ici. J’ai quitté ma maison, j’ai appelé Amadou pour lui dire de quitter sa maison aussi, parce qu’on nous recherchait. Moi, je suis venu à l’hôtel Rochet en ville ici, pendant six jours, j’étais là-bas », a-t-il indiqué.
» J’ai été informé par une source aux environs de 23 h que les forces de défense et de sécurité ont ramassé 84 corps au stade, qu’ils sont allés enterrer nuitamment à Cosa, non loin du camp Alpha Yaya. »
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